Le journaliste Arthur Frayer a sorti il y a deux ans, un livre impressionnant sur la réalité des prisons et de la condition des surveillants, Dans la peau d'un maton.
Des films, des livres, des documentaires sur la prison, il y en a eu, il y en a et il y en aura. (D'ailleurs hier encore était diffusé sur la Une un reportage dans lequel le journaliste pensait pouvoir analyser le quotidien des prisons en dix jours d'enquête). Mais quels sont ceux qui peuvent se targuer d'avoir pu la percevoir de l'intérieur pendant un certain temps ? C'est l'objectif affiché du journaliste diplômé de l'Ecole de Strasbourg.
Genèse de l'enquête
Pour voir la réalité des prisons il s'engage dans la préparation secrète du concours de l'Enap (Ecole nationale de l'administration pénitenciaire), il fait tout pour ne pas attiser les soupçons sur son envie (rédiger un cahier de notes et le publier après un an en "in"). Il l'obtient et commence sa formation à l'Enap émaillée de stages en prison (d'abord à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis où il est surtout observateur puis Châteaudun où il commence à avoir quelques responsabilités). D'ôres et déjà, on lui explique textuellement que "le meilleur d'entre eux ne vaut rien"
On le suit quasiment quotidiennement tant dans ses peines (difficile acclimatation et contact avec les surveillants) que dans ses moments plus heureux (échanges avec les détenus, liens,...) et livre des conclusions sur la prison : "De toute façon, la réinsertion, c'est pas possible ici ! T'as vu les conditions ? C'est même pire : c'est l'inverse !" lui assure par exemple un de ses collègues.
Une tension quotidienne dans le couple détenus-surveillants
Il subsiste un état de conflit permanent, de tension perpétuelle entre les détenus et les surveillants qui mènent inlassablement à une montée de l'échelle de la violence.
Lorsqu'un détenu se confie la leçon détonne pour le lecteur inaverti : "Surveillant, je vais vous dire, il y a deux prisons : la prison réelle, celle qui existe parce qu'on a fait des conneries ; on a été condamné et on paye pour ça, c'est normal ; et il y en a une deuxième : la prison dans la prison. Tous les petits trucs quotidiens qu'on nous fait subir pour rien : les parloirs hygiaphone sans raison, les retards de promenade sans motif, et les surveillant qui sont jamais là, les délais sans fin, les plaques électriques cassées qui ne sont jamais réparées..."
Frayer reprend : "la deuxième prison : tout le problème est concentrée dans cette formule. La lassitude et la démotivation des gardiens, les petits riens qui s'accumulent, les brimades infimes, le mépris ambiant, l'absence de soutien de la hiérarchie... Ces petits griefs isolés, sans lien entre eux, mais qui, tous ensemble, forment un système complexe et finissent par transformer la prison en poudrière."
Un paradoxe
En cela c'est un paradoxe car la raison voudrait que les deux composantes de la prison se facilite mutuellement la tâche, ce qui n'est pas le cas comme l'explique le journaliste : “Surveillant et prisonnier sont tour à tour bourreau et victime : le détenu subordonné à la volonté du surveillant, à la complexité administrative, à des conditions matérielles déguelasses, mais aussi victime de lui-même et de la loi du plus fort ; le surveillant, lui, est l'objet d'insultes, de menaces,de tout ce que la misère humaine sécrète de violence et de bêtise. Paradoxe du système : conditions de travail du surveillant et conditions d'enfermement du détenu sont les deux faces d'une même pièce, et celles-ci s'ignorent.
Le cercle vicieux de l'incompréhension déroule son lot de fureurs, de mesquineries et de vengeances. Durcir la détention d'un détenu qui a emmerdé un surveillant qui durcira la détention... L'absurde est bien rodé."
Les surveillants sont souvent de fait « épuisés » lorsqu'ils rentrent chez eux. Frayer raconte un jour : « Je ne me suis pas assis une seule fois en six heures. Plus que la fatigue physique c'est la lente usure morale qui déjà me mine. »
Un travail harassant
Les mêmes actions se répètent inlassablement quotidiennement et cela contribue également à l'épuisement chronique de chaque surveillant : « J'ai la boule au ventre en allant au travail ; je dors mal, j'ai perdu du poids. Mon corps est à bout, mes jambes me font mal en permanence, mes muscles sont raides et mes pieds en feu au terme de chaque service. Je fais une vingtaine de kilomètres chaque jour le long des coursives. Les prises de tête constantes me laminent le moral. Je ne soupçonnais pas la violence de la prison. Pas tant les agressions physiques que la violence des contestations et des querelles pour une douche ou un passage au téléphone. »
Arthur Frayer ne tiendra qu'un mois et demi dans la dernière maison d'arrêt (Orléans) avant de se résigner à arrêter son enquête. Preuve du travail lourd et inconcevable qu'un surveillant doit effectuer. Un manque de moyen évident dénoncé dans ce livre qui accroche le lecteur dès les premières pages.
«Dans la peau d'un maton», d'Arthur Frayer, éd. Fayard, 17 euros
T. L.