La rigueur semble être une valeur à laquelle chaque homme politique doit se résoudre aujourd’hui. Même le candidat socialiste (c’est-à-dire selon le Larousse « partisan de la transformation de l'organisation sociale dans un but de justice entre les hommes au plan du travail, de la rétribution, de l'éducation, du logement, etc. ») se dit prêt à lui donner du sens. Le président de l'EuroGroup, Jean-Claude Juncker, résume bien : « Il faut de la rigueur partout ».
Souvent pour montrer son inefficience et ainsi annihiler l’hypothèse de quelconques politiques de relance, les partisans de la rigueur invoque l’exemple du raté supposé de la gauche française au début des années 1980.
La rédaction a donc décidé aujourd’hui de faire un focus sur ce fameux plan de relance sous l’angle du livre de l’ex-candidat déclaré, Jean-Pierre Chevènement, La France est-elle finie?
La relance de l'économie Française de 1981
La gauche arrive au pouvoir en 1981 avec à sa tête François Mitterrand, c'est la première alternance. L'arrivée du nouveau gouvernement socialiste se conjugue avec une volonté de changement caractérisée sur le plan économique par la relance. Toutefois, la politique économique adoptée par les socialistes sera un semi échec et le gouvernement s'alignera rapidement sur le standard de l'époque c'est-à-dire le libéralisme. Avant d'en arriver au pourquoi de l'échec de la relance, il est paraît intéressant d'analyser quelques paramètres de l'époque.
-La victoire idéologique du libéralisme:
A cette époque le libéralisme, fortement influencé par l'école monétariste de Chicago (dirigée par Milton Friedman) et sous l'impulsion de ses meilleurs lieutenants politiques à savoir Margaret Thatcher et Ronald Reagan triomphe dans les principaux pays développés. Sa victoire est d'autant plus écrasante que les politiques keynésiennes classiquement adoptées n'ont pas apportées satisfactions après des deux chocs pétroliers et la faillite du système fordiste, elles ont résulté par la stagflation c'est à dire une croissance faible et une inflation forte. Ce néolibéralisme peut se résumer par la croyance au marché efficace, se régulant par lui-même, ayant en son cœur un individu rationnel. Il se caractérise aussi par sa critique et son hostilité à l'Etat providence ainsi qu'à toute intervention étatique dans l'économie. L'arrivée de la gauche au pouvoir semble donc venir à contre-courant de l'idéologie économique dominante.
-La mise en œuvre du plan de relance et son échec:
Au début de son septennat, François Mitterrand applique le programme commun au niveau économique: augmentation du smic de 10%, embauche de 55 000 fonctionnaires, réduction du temps de travail, nationalisations massives d'entreprises, augmentation générale des allocations... un programme économique visant à améliorer les conditions de la demande par la consommation sous pilotage étatique : le but étant d'atteindre le plein emploi par une croissance forte. Cependant il en est résulté une forte inflation (13%), une hausse des déficits à la fois budgétaires et commerciaux sans qu'il y ait eu de réels effets positifs. Cet échec s'explique en grande partie par la négligence de la contrainte extérieure. En effet, les principaux partenaires commerciaux (l’Allemagne en tête) s'étant rangés dans le crédo libéral, la relance Française se traduit par une forte inflation et par l'achat de biens des économies partenaires de la France. En conséquence, la relance Française aura, ironie du sort, relancée nos partenaires commerciaux mais pas notre économie !
-L'échec de la relance imputable...à la gauche Française:
C'est la conviction de Jean-Pierre Chevènement, à l'époque ministre de l'industrie. Il rapporte dans son livre La France est-elle finie? des éléments de réponses importants.
Sa position de ministre de l'industrie lui permettant d'en savoir plus, il dénonce ce qu'il appelle « l'alliance de fer pour démontrer l'inanité d'une autre politique (relance) ». Il s'agissait d'une "alliance" des principaux ministres occupant des postes clés et déterminés à modifier la politique économique Française. Jacques Delors alors ministre de l'économie et des Finances marchandait « rudement les dotations en capital que je lui demandais et se refusait à entendre parler d'une banque nationale d'investissement destinée à transformer l'épargne au service de l'industrie. » De plus, celui-ci d'après Jean-Pierre Chevènement « s'obstinait à ne rien faire des nouvelles banques nationalisées », il s'opposa à d'autres mesures économiques (liste trop longue et fastidieuse pour le lecteur). Qui plus est, comme il l'avoua dans un livre paru en 2005 (Entretiens avec Jacques Delors) : « Dès le début de 1982, François Mitterrand avait à faire à une alliance de fer forgé entre le premier ministre et moi (...) on se réunissait une fois à dîner par semaine(...) nous étions convaincus que notre ligne était la bonne, et nos deux cabinets travaillaient en étroite collaboration." Jacques Delors affirme son rôle déterminant dans l'avortement de la relance.
Jean-Pierre Chevènement fait part des arbitrages présidentiels aléatoires dont un capital qui a abouti à un rejet d'une forte dévaluation du Franc. Cette dévaluation, seule capable de régler "le problème essentiel de la compétitivité extérieure de l'économie Française. « Or cette dévaluation massive impliquait une sortie du Franc du SME (Système Monétaire Européen), une grande confiance en nous et dans le ressort politique, civique et moral de la France ».
D'après Chevènement ce plan de relance d'emblée mal conçu et volontairement mal exécuté par quelques ministres était pourtant "jouable", pourtant après quelques hésitations, François Mitterrand abdiqua en faveur de « l'air du temps » et opéra ce que l’on appelle aujourd’hui le virage de la rigueur dès 1983. Rigueur à laquelle nous ne sommes plus sortis depuis!
J. B.